La légende d'Ys

Depuis longtemps déjà, en Armorique, les hommes voulaient construire une ville qui défierait la mer. Elle devait être à la gloire de Dieu, et montrer sa supériorité sur les choses de la nature de l'ancienne religion.

Il y avait, au large une très longue bande de rochers qui émergeaient à marée basse et qui s'éloignaient loin dans la mer. Il s’y formait comme une petite colline de granit et où travaillaient d'humbles Bretons et leur capitaine pour leur seigneur Gradlon.

Sur la partie basse du rocher effleurant l'eau, on bâtit des digues suffisamment hautes pour empêcher la mer de le recouvrir. On mit une grande porte à écluses bien solide afin de permettre le passage des navires au port. La clé de cette porte fut offerte au roi de l'île qui avait commandé l'ouvrage, le roi de Cornouaille, Gradlon.

Une ville y fut bâtie. Elle était si basse sur la mer qu'on la nomma Ker Ys, la ville basse, inférieure, souterraine. Et c'était vrai que suivant les marées, Ys était si basse qu'elle semblait posée sur l'eau.

Gradlon le Grand régnait en bon roi chrétien et sa bonne ville d'Ys dans ses remparts rendait grâce à Dieu, sous la protection spirituelle de Saint Corentin, l'évêque de Kemper et de sa cité. Puis Gradlon eut une fille qu'il nomma Dahut. Elle était la joie de son cœur et il l'aimait tendrement. Elle était si belle que Gradlon lui vanta sa beauté, rendant son cœur orgueilleux, futile et frivole. La belle devint jeune fille et s'ennuyait dans la ville où les garçons travaillaient et priaient à longueur de temps au lieu de la divertir.

Alors, elle fit venir des jeunes du continent qui amenèrent avec eux de la musique, des danses, des fêtes. Et les jeunes d'Ys suivirent Dahut dans son désir frénétique de plaisir et de liberté. Ys devint la cité de la perversion et de la prostitution, une Sodome et Gomorrhe d'Armorique.

Dieu était déçu de voir ce qu'il était advenu de sa bonne ville posée sur l'eau. Il décida d'y envoyer le Diable pour punir la ville pécheresse.

Dahut vit arriver un bel étranger vêtu de rouge, libre de ses mœurs et prodigue de ses câlins. Dahut tomba aussitôt amoureuse de lui, dansant avec lui toute la nuit et se livrant à des orgies sans fin. Toute la ville suivait son exemple, au grand désespoir de Gradlon et de Corentin. Celui-ci, ne connaissant pas les desseins de Dieu, envoya chercher Saint Guénolé pour lui venir en aide.

Dahut continuait sa folle vie et lorsque son bel amant lui demanda la clé de la porte écluses de la cité, elle s'arrangea pour la prendre au cou de son père endormi dans un sommeil peuplé de cauchemars. En gage d'amour, elle l'offrit à l'étranger vêtu de rouge en échange de son nom. Alors le Diable se nomma, et volant jusqu'aux portes écluses, il les ouvrit en grand, laissant entrer un flot purificateur dans la ville pervertie.

Dahut, comprenant son erreur, se précipita pour prévenir son père de l'arrivée de la mer furieuse, et à son tour il réveilla Saint Guénolé. Celui-ci comprit alors le projet de Dieu, et le louant, il alla chercher deux chevaux marins, capables d'aller à travers les vagues, galopant sur l'eau pour rejoindre Douarnenez.

Mais le cheval de Gradlon peinait et n'arrivait que difficilement à avancer, se laissant submerger par les flots. Guenolé comprit le signe de Dieu et somma Gradlon d'abandonner sa fille qu'il avait en croupe. Le roi, comprenant qu'il en allait de son salut, fit tomber Dahut de son cheval et celui-ci libéré, se lança par-dessus les vagues à la suite de son frère monté par Guénolé.

Le roi et le saint furent ainsi sauvés, mais le reste de la ville qui avait choisi la perversité était désormais sous la mer.

De la ville d'Ys et de ses habitants, il ne restait rien. Mais quelques fois, les pêcheurs entendent les cloches de l'église d'Ys, sous la mer, se plaindre doucement de la folie de Dahut la malfaisante.